Titre : Montecore, un tigre unique
Auteur : Jonas Hassen Khemiri
Edition : le Serpent à plumes
Publication : 10/04/2008
Nombre de pages : 384
Isbn 13 : 9782268065076
L'histoire que raconte Montecore est parfaitement ordinaire, presque banale. Nous sommes dans les années 1970 : un jeune Tunisien, élevé dans un orphelinat, vit de petits boulots et rêve de devenir photographe. Après le travail, il traîne sur la plage et autour des hôtels et drague les touristes occidentales qui succombent facilement à ses charmes méridionaux. Jusqu'au jour où il fait connaissance d'une Suédoise, hôtesse de l'air, future infirmière et militante de gauche - et cette fois, c'est le vrai amour. A tel point vrai qu'il emprunte de l'argent à son meilleur ami, quitte la Tunisie, s'installe à Stockholm et épouse la Suédoise, avec laquelle il aura trois enfants. Commence une longue histoire de l'intégration, compliquée dans son cas par son refus d'abandonner le rêve de devenir photographe et de se contenter des métiers auxquels peut prétendre un immigré maghrébin, sans formation, ne connaissant pas la langue du pays. Le rêve est tenace et lui coûte cher : des échecs à répétition, des frictions dans le ménage, des conflits avec le fils de plus en plus intégriste, une aliénation grandissante... Telle est l'intrigue, typique, édifiante et tout ce qu'on veut, mais ce n'est pas elle qui fait tenir le livre et en fait une oeuvre parmi les plus remarquables et certainement la plus originale de tout ce qui a paru en Suède ces dernières années. Ce qui le fait tenir c'est : 1. la composition, et 2. la langue. Selon la formule d'un personnage, c'est un « roman triangulaire », qui réunit trois voix : celle du fils du photographe, celle de son meilleur ami, et celle du photographe lui-même. Et l'auteur compose une mosaïque époustouflante avec chacune de ces voix. Cette réussite est cependant rendue possible essentiellement grâce à la virtuosité stylistique de l'auteur. Il invente un idiome à partir du suédois et de la langue de ses ancêtres tunisiens : le français (pas l'arabe). Il crée sa propre syntaxe, sa propre grammaire (inspirées par le parler banlieusard, donc à la fois compréhensibles et socialement marquées), en même temps qu'il met en place un vocabulaire fondé sur les racines françaises « suédisées ». Rien de ce qu'il écrit n'existe dans la langue normative, mais c'est parfaitement compréhensible et infiniment drôle. Le résultat de cette vivisection linguistique est étonnant : l'histoire banale d'une intégration qui a mal tourné devient un récit unique et inoubliable ; les quatre personnages de l'histoire -le photographe, son fils, son ami et sa femme... font entendre leurs voix si particulières qui font d'eux des êtres en chair et en os, à la fois pathétiques et ridicules, victimes et héros, types et individus. Jonas Khemiri est traduit en Allemagne, Pays Bas, Finlande, Danemark, Norvège, Russie et Serbie.