Notre aventure aux Samoa

Titre : Notre aventure aux Samoa
Auteur : Fanny Stevenson, Robert Louis Stevenson
Edition : Phébus
Publication : 11/05/2006
Nombre de pages : 295
Isbn 10 : 2752901887
Isbn 13 : 9782752901880

Ce " journal " (encore que le mot ne soit qu'à moitié exact) a une histoire qui est déjà, en soi, presque un roman. Composée par Fanny Stevenson, dans le but évident d'être publié, cette chronique des trois dernières années (1892-1894) du couple aventureux venu chercher refuge dans le Pacifique avait, à ses yeux comme à ceux de R. L. Stevenson, valeur à la fois de témoignage et de manifeste. Seules les violentes polémiques dont elle allait être l'objet à la mort du romancier devaient l'amener à renoncer - la mort dans l'âme, on peut le croire - à son projet d'édition. Se trouvait en effet consigné dans ces pages - et justifié non sans véhémence - le combat passionné livré alors par R. L. Stevenson pour sauver les îles du Sud de l'avenir sordide que leur promettait déjà la cupidité des " traitants " qui commençaient à les mettre en coupe réglée, avec la complicité active des gouvernements occidentaux. L'itinéraire du livre fut lui-même toute une aventure. Fanny avait beau avoir fait ses preuves d'écrivain, s'être dévouée corps et âme à la défense de l'oeuvre de son compagnon et à celle des idées qui lui étaient chères, une cabale fut montée contre elle depuis Londres par quelques critiques en vue, qui estimaient que Robert Louis, sous son influence, avait viré à un anarchisme de " mauvais goût " (seul Henry James sut rester fidèle, envers et contre tous les anathèmes de ces tyrans des lettres, à la mémoire de son ami disparu). Pour couper court à ce débat qu'elle estimait indigne, elle renonça à livrer au public ces pages pourtant essentielles à ses yeux, et afin d'épargner de nouvelles attaques à sa famille, alla même jusqu'à effacer de ses notes tous les passages que des esprits vétilleux eussent pu trouver " compromettants ". Ce n'est que bien des années plus tard (après la dernière guerre) que le texte complet de l'oeuvre put être reconstitué avec l'aide d'une équipe d'experts du FBI spécialisés dans le décryptage des documents caviardés ! Reste le livre, désormais conforme au voeu initial de Fanny (et enrichi des ultimes textes de la main de Robert Louis) et préfacé avec la passion que l'on sait par Michel Le Bris. Après un siècle et plus de malentendus, il était en effet difficile de se faire une idée exacte de ce qu'avait été le dernier rêve du grand romancier et de sa compagne : rien de moins que de créer, dans le climat béni des mers du Sud, un espace protégé où des hommes pussent continuer à mener une vie libre et " sauvage ". L'intéressant en l'affaire est que Stevenson et Fanny, bien loin de se conduire en utopistes fumeux, cherchent à définir concrètement une alternative au modèle occidental de civilisation, et la mettent tranquillement en pratique à la modeste échelle de leur domaine de Vailina, ouvert à toutes les bonnes volontés - et aux caprices des quatre vents. On s'étonne d'ailleurs, à les lire, que les Surréalistes, qui firent si grand cas de la démarche ambiguë d'un Gauguin dans les mêmes parages, aient superbement ignoré leur recherche, qui anticipait pourtant la leur propre jusque dans le détail (réhabilitation des civilisations " fragiles ", etc.). Là où l'on n'a voulu longtemps voir que la quête anecdotique d'un esthète anarchisant en mal d'exotisme se dessine en effet, au fil de ce " livre de bord ", un tout autre projet : celui d'un recours éperdu aux valeurs " menacées " (Stevenson fut l'un des premiers à les définir comme telles) du monde sauvage - et, par-delà, la formulation de ce rêve quasi rimbaldien qui appelait de toutes ses forces au ressourcement des vertus occidentales " épuisées " : à la faveur d'un contact pur avec une culture non encore pervertie par le mirage du progrès. Aucune " idéologie " pourtant, dans la revendication ici formulée, laquelle relève bien moins du débat d'idées que de l'évocation poétique. Fanny, Dieu merci, n'est pas une raisonneuse, mais une femme qui s'abandonne d'un coeur sincère aux plaisirs et aux peines de la vie " naturelle ". Et nous la voyons bravement à la tâche, ne reculant devant aucune besogne, et accueillant de grand coeur l'étranger qui passe - même s'il se révèle faire partie de la grande famille des canailles. Car elle se montre à nu, sans vanité, en y mettant au besoin ce sens de l'humour qui est la marque des âmes vraiment courageuses. Enfin et surtout, elle excelle à rendre, dans un style qui fait merveille, ces lieux battus par la grande houle du Pacifique (les pages où l'on perçoit la palpitation de la forêt toute proche pourraient être de Robert Louis), à dessiner des portraits aigus mais indulgents, à croquer des anecdotes pleines de saveur ; bref, à nous dresser la chronique délicieusement vivante de cette belle et triste aventure : un homme et une femme occupés à construire un Nouveau Monde au bout du monde, élevant des murs parmi les arbres, mais laissant les fenêtres ouvertes à tout ce qui peut venir du dehors - fût-ce la destruction de leur rêve.
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